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A propos de l'auteur

  • Alizé Robert

    Étudiante en 2ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || « Tocqueville, ou la difficulté d’être orateur », dans Romantisme, 2006/3 n°133, P. 108-122.

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  • (|ptobr)

Tocqueville, ou la difficulté d’être orateur.

Dʼaprès cet article, Tocqueville n’éprouvait pas la même aisance à s’exprimer en public
qu’à écrire. En effet, ce fut un problème majeur dans la carrière politique de l’auteur, car il
faut rappeler que Tocqueville, en plus d’être juge auditeur à Versailles, était aussi membre
du parlement durant la monarchie de Juillet.
Cette discrétion flagrante s’explique par le fait que Tocqueville n’aurait pas le don de l’improvisation nécessaire à l’orateur : Le bon orateur expose des idées clarifiées, simples à comprendre, et par-dessus tout il maîtrise l’art de stimuler un auditoire pour emporter son adhésion. Tocqueville n’aurait rien de tout cela : « il a besoin de temps pour classer ses idées », et il ne saurait pas non plus comment émouvoir son public.
Se reconnaissant comme quelqu’un de froid, il se sent impuissant vis à vis d’un public, et
voit l’art oratoire comme un mythe, un concept inaccessible. Au discours animé et zélé, il
préfère l’écriture, et conçoit que « le métier d’écrivain et d’orateur se nuisent plus qu’il ne
s’aident ». On ne peut expliquer à l’oral des analyses complexes, sous peine d’ennuyer le
public et de perdre son adhésion, qui se pose comme la première difficulté.
Une autre difficulté pour Tocqueville est celle de ne pas revenir sur une notion qu’il vient
de dire. C’est-à-dire que le public doit accepter une grande quantité d’informations, sans
possibilité de se rattraper sur ce qui a été dit avant. L’écrit est différent de l’oral : il utilise
divers moyens pour parvenir à ses fins. Les propositions courtes et les reformulations sont
d’usage lors d’un discours, ce qui va contre la manière de faire de Tocqueville.
Cependant, lors d’un discours sur la liberté religieuse, l’auteur s’adapte aux exigences de
la tribune et formule des phrases avec des propositions courtes, reprend des termes déjà
évoqués auparavant. Il souligne le fait qu’il est trop honnête pour être un orateur digne de
ce nom.
Par la suite, il change de procédé et se place comme acteur de ce qu’il raconte, c’est-à dire
qu’il emploie la première personne : il prend partie pour sa cause, il s’engage, et
revendique une sincérité totale dans ses discours.

Ce fort investissement de sa personne, ce "je" trop présent dans ses allocutions sont jugés irritants par ses auditeurs, comme le souligne Armand MARRAST, journaliste et homme politique.

Tocqueville reconnaît sans peine une autre difficulté lors de sa prise de parole : sa difficulté à émouvoir, à toucher son public. Comme nous l’avons déjà dit, un orateur doit saisir, convaincre, émouvoir pour emporter l’adhésion de son auditoire. La comédie, la mise en scène, le jeu de l’émotion sont des notions impalpables pour lui. Il emprunte alors un autre chemin qui, semblerait-il, lui correspond plus : exciter l’inquiétude et la crainte de son public sur le sujet qu’il traite (en l’occurrence, l’évolution du régime politique présent en France).
Tocqueville est comparé à Cassandre (dont on sait qu’elle reçu d’Apollon le don de prédire l’avenir, mais qui se fit dire par ce dernier que personne n’écouterait ses paroles car elle se refusa à lui), mais il est tout de même élu à l’assemblée Nationale et fait partie des rédacteurs de la Constitution de 1848, qui régit la seconde république. Cet enjeu majeur dans l’Histoire de France révèle à la tribune un homme transformé, fort de ses expériences antérieures. Il évoque lui-même la « facilité à parler dans cette grande assemblée ». Le sujet qu’il traite le touche beaucoup, il se l’approprie, il retient ainsi l’attention de ses auditeurs.

La survie de la république passionne l’homme. Acteur de la protection de la liberté, et ennemi du socialisme, Tocqueville prend parti pour l’immuabilité du nouveau régime. Il compose alors des discours séduisants et percutants. Mais plus encore, il se pose en tant que visionnaire, sans toutefois écraser son auditoire de ses connaissances. Il fait un sort à ses auditeurs en les incluant dans ledit discours avec le mot nous. Il les instruit pour les convaincre. Dans le but de les émouvoir, il leur fait endosser le rôle d’acteurs et de vainqueurs de la révolution, et crée ainsi une cohésion autour des valeurs de la révolution de 1789. Ce rassemblement pour l’amour de la patrie, de la France, et pour la défense de ses valeurs crée un enthousiasme général.
Tocqueville dut donc faire preuve de patience pour maîtriser l’art de la prise de parole en public, et plus particulièrement pour persuader son auditoire, pour lui communiquer ses idées. Ce n’est qu’en 1848 qu’il parvient à
sensibiliser la Chambre véritablement, lorsque ses idéaux politiques concordent avec la situation du pays.