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A propos de l'auteur

  • Alva-Ines Rodriguez

    Étudiante en 2ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Stylistique du texte classique || Phedre, RACINE, Acte V, scène 7

étude effectuée par Athénaïs LOUIS et Alva-Ines RODRIGUEZ, étudiantes L3, Lettres Modernes.

Compte-rendu de l’article "L’expression de la surprise dans Mithridate de RACINE : remarques syntaxiques et pragmatiques" de Sophie Hache, Information Grammaticale numéro127, octobre 2010

L’article de Sophie Hache issu de l’Information Grammaticale s’intitule « L’expression de la surprise dans Mithridate de Racine ». L’irruption de la surprise chez Racine se traduit notamment par une succession de coups de théâtre. Comme l’écrit Sophie Hache, « la dramaturgie du coup de théâtre (…) repose moins sur le surgissement de l’événement que sur sa révélation ». En effet, les secrets sont le fondement de la pièce : ils orchestrent, par leur préservation ou leur divulgation, les actions des personnages et produisent des rebondissements. Le spectateur détient alors un statut particulier puisqu’il a un regard omniscient qui porte à sa connaissance tous les secrets des personnages. Cette focalisation instaure une distance entre le spectateur et les personnages le mettant dans l’attente de la divulgation des secrets et de la chute attendue des protagonistes : Sophie Hache désigne ce procédé comme la « logique du pathétique ». Le pathétique atteint son paroxysme lors du dénouement où à la surprise finale se mêle le soulagement du spectateur omniscient qui avait conscience de la fin inévitable.
Nous allons donc vous présenter les différents procédés de l’expression de la surprise.
L’effet d’étonnement est tout d’abord marqué par l’emploi de structures récurrentes que sont les phrases interrogatives et exclamatives. Celles-ci ont une fonction expressive et permettent au locuteur de révéler ses sentiments et de manifester sa subjectivité.
On peut noter la difficulté à distinguer ces types de phrases notamment lors de certaines utilisations ou structures qui peuvent induire une confusion. C’est le cas pour les phrases commençant par un pronom interrogatif (que) ou une interjection (quoi) ou avec une inversion sujet-verbe. Ainsi suivant les différentes éditions du texte de Mithridate, les points d’exclamation et d’interrogation peuvent se confondre ou s’inverser.
Mais les phrases interrogatives et exclamatives ne sont pas les seuls vecteurs de l’effet de surprise. C’est le cas de la phrase dite « canonique », c’est-à-dire la phrase française basique « sujet-verbe-complément », lorsqu’elle est utilisée avec des marqueurs de la surprise tels que l’interjection. Cette structure est souvent associée à une reformulation des propos du locuteur précédent, permettant ainsi de mettre l’accent sur une information donnée précédemment et à laquelle on ne donnait que peu d’importance. Le procédé de reprise des propos peut également utiliser des phrases averbales (« vous » !). Il n’est d’ailleurs pas rare d’associer une phrase averbale complétée par une phrase canonique (« Pharnace ? Au ciel ! Pharnace ? Ah ! Qu’entends-je moi-même ? »). On peut également utiliser la phrase clivée (« c’est…que ») comme procédé de mise en relief d’un point du discours, souvent implicite.
La pièce étant basée sur les secrets, le discours est alors inscrit dans la dissimulation. Ainsi l’expression de la surprise, qu’elle soit feinte ou réelle, est importante. On peut alors analyser le degré de sincérité du locuteur selon la présence ou non de marques formelles caractéristiques du sentiment de surprise : phrases interrogatives et exclamatives, énoncé averbal, interjections, apostrophes. S’il n’y en a pas, cela dénonce la fausseté du discours du personnage : ainsi la stratégie est d’amener un autre personnage à se dévoiler par l’expression de la surprise (de façon feinte ou non) d’un autre protagoniste.
L’effet de surprise passe également par des effets rythmiques. Ainsi lorsque le personnage exprime un sentiment de surprise, il semble s’interroger sur lui-même alors qu’il interroge le discours de son interlocuteur. Les effets rythmiques retranscrivant l’expression de l’étonnement sont nombreux : il y a tout d’abord la rapidité des échanges (par interruption ou figement), les ruptures rythmiques (brièveté d’une réplique suivi de répliques développées), les interjections et les apostrophes qui marquent un énoncé passionné, brièveté de l’énoncé exclamatif afin de le rendre plus passionné et de permettre une manifestation réelle des émotions, utilisation de répétitions et de reformulation, la surprise permettant ainsi de ralentir l’action.

Ainsi les procédés et les marqueurs de la surprise sont nombreux : l’étonnement se traduit par la structure phrastique (phrase interrogative, exclamative, canonique, averbale), dans la reformulation et la répétition d’éléments du discours et la dissimulation mais aussi dans ses effets rythmiques (rapidité des échanges, brièveté des répliques). Ainsi l’expression de l’étonnement donne une dynamique au texte, alliant un discours de la surprise à des intonations expressives portées par de forts contrastes rythmiques.

Application à Phèdre

Texte de Phèdre de Racine
Thésée
Hé bien ! vous triomphez, et mon fils est sans vie !
Ah ! que j’ai lieu de craindre ! et qu’un cruel soupçon,
L’excusant dans mon cœur, m’alarme avec raison !
Mais, madame, il est mort, prenez votre victime ;
Jouissez de sa perte, injuste ou légitime :
Je consens que mes yeux soient toujours abusés.
Je le crois criminel, puisque vous l’accusez.
Son trépas à mes pleurs offre assez de matières
Sans que j’aille chercher d’odieuses lumières,
Qui, ne pouvant le rendre à ma juste douleur,
Peut-être ne feraient qu’accroître mon malheur.
Laissez-moi, loin de vous, et loin de ce rivage,
De mon fils déchiré fuir la sanglante image.
Confus, persécuté d’un mortel souvenir,
De l’univers entier je voudrais me bannir.
Tout semble s’élever contre mon injustice ;
L’éclat de mon nom même augmente mon supplice :
Moins connu des mortels, je me cacherais mieux.
Je hais jusques au soin dont m’honorent les dieux.
Et je m’en vais pleurer leurs faveurs meurtrières,
Sans plus les fatiguer d’inutiles prières.
Quoi qu’ils fissent pour moi, leur funeste bonté
Ne me saurait payer de ce qu’ils m’ont ôté.

Phèdre
Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence ;
Il faut à votre Fils rendre son innocence :
Il n’était point coupable.

Thésée
Ah ! père infortuné !
Et c’est sur votre foi que je l’ai condamné !
Cruelle ! pensez-vous être assez excusée...

Phèdre
Les moments me sont chers ; écoutez-moi, Thésée :
C’est moi qui sur ce Fils chaste et respectueux
Osai jeter un œil profane, incestueux.
Le Ciel mit dans mon sein une flamme funeste :
La détestable Œnone a conduit tout le reste.
Elle a craint qu’Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît un feu qui lui faisait horreur :
La perfide, abusant de ma faiblesse extrême,
S’est hâtée à vos yeux de l’accuser lui-même.
Elle s’en est punie, et, fuyant mon courroux,
A cherché dans les flots un supplice trop doux.
Le fer aurait déjà tranché ma destinée ;
Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée :
J’ai voulu, devant vous, exposant mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée apporta dans Athènes.
Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage
Et le ciel, et l’époux que ma présence outrage ;
Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté,
Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté.

Nous allons donc appliquer ces procédés au texte de Phèdre. L’extrait choisi se situe à la scène 7 de l’acte V, c’est le dénouement de la pièce. Ce passage constitue un coup de théâtre au sens où nous assistons à la divulgation du secret de Phèdre à Thésée, aveu qui demeure en suspens depuis le début de la pièce. On peut alors se demander dans quelle mesure l’expression de la surprise est liée au dénouement final de Phèdre ? Dans un premier temps, nous analyserons l’art du coup de théâtre par la divulgation des secrets puis dans un second temps, nous étudierons en quoi le discours est marqué par l’étonnement.
PB : Dans quelle mesure l’expression de la surprise est inhérente à la scène finale de Phèdre ?

I – L’Art du coup de théâtre par la divulgation des secrets

A. L’aveu : pièce maîtresse du dénouement tragique

Comme nous l’avons vu dans le résumé de l’article, la pièce de théâtre repose sur les secrets, que les personnages les gardent ou les divulguent. Notre extrait est le dernier acte de Phèdre où celle-ci dévoile son lourd secret, comme l’annonce la réplique au vers 24 « il n’était point coupable » : en effet, amoureuse d’Hippolyte, le fils de Thésée, elle est la responsable de sa mort. Elle a absorbé du poison et le spectateur sait qu’elle doit mourir, mais avant elle doit faire ses aveux. On ressent cette obligation au vers 24 avec la double utilisation de la modalité déontique « il faut rompre […] il faut ». La révélation de son secret ralentit l’action dramatique pour mener à la chute attendue de Phèdre. Dans son aveu, on ressent l’urgence de la Mort, que l’on comprend aux vers 45-46 « j’ai fait couler dans mes brûlantes veines/un poison.. » : puis l’allusion à sa mort prochaine continue avec la métonymie de l’arme contondante avec « le fer aurait déjà tranché ma destinée » (v. 41) où elle fait allusion à son suicide. On remarque la présence d’une isotopie de la Mort : « descendre chez les morts » (v.44), « faveurs meurtrières » (v.20), « cœur expirant » (v.48), « la mort » (v.51) etc. La divulgation du secret amène la tension dramatique, tension qui retombera avec la mort de Phèdre, et le dénouement de la pièce.

B. Une situation duelle

Cette scène est construite sur l’affrontement de Phèdre face à son secret et face à Thésée : c’est tout d’abord Thésée qui établit l’opposition au vers 1 « vous triomphez » et « mon fils ». Puis Phèdre décrit son propre « œil profane, incestueux » (v.32) qu’elle oppose à « fils chaste et respectueux » (v.31), doublets qui appuient l’opposition entre Hippolyte et Phèdre, opposition qui atteint son apogée dans l’hypallage « flamme funeste » qui accentue l’alliance de deux éléments dissemblants. Enfin la situation est autrement duelle, puisque Phèdre souhaite avouer (« il faut rompre un injuste silence » (v.24), « exposant mes remords (v.43)) mais rejette la faute sur Oenone (« la détestable Oenone a conduit tout le reste (v.34), « La perfide, abusant de ma faiblesse extrême » (v.37)) puis sur la fatalité (« le ciel mit dans mon sein une flamme funeste » (v.33).

C. Stratégie de dévoilement :

Enfin on remarque dans cet extrait que Thésée semble mener une stratégie de dévoilement : en effet il semble feindre l’ignorance du crime de Phèdre : il parle d’un « cruel soupçon » (v. 2), et déclare que ses « yeux soient toujours abusés » (v. 6), ce qui sous entend le mensonge de Phèdre. Au vers 4 il utilise la conjonction de coordination « mais » qui introduit un désaccord dans son discours. Puis le vers 7 « Je le crois criminel, puisque vous l’accusez. » semble être une anti phrase montrant que Thésée dit le contraire de ce qu’il affirme, espérant ainsi faire avouer Phèdre par ce stratagème langagier. Thésée semble feindre sa surprise comme le montre l’effet de rythme des nombreuses virgules et la cadence majeure du vers 4. Au vers 9, il reformule cette idée, en déclarant ne pas vouloir savoir la vérité (« Sans que j’aille chercher d’odieuses lumières ») alors que Phèdre va se confesser. L’aveu de Phèdre est donc une surprise feinte pour lui, puisqu’il la soupçonnait ; mais la douleur de la mort de son fils reste réelle, comme le montre les trois répliques passionnées des vers 27, 28, 29, ce que nous allons l’étudier dans la seconde partie.

II- Un discours marqué par l’étonnement

A. Analyse phrastique

L’analyse phrastique permet de relever les différentes marques qui trahissent la surprise dans l’énoncé. En effet, cela est tout d’abord visible avec l’emploi de la modalité exclamative, employée essentiellement par Thésée puisque c’est à lui que l’aveu est révélé. (v.1/2/3/27/28/29) A cela s’ajoutent les effets de rythmes témoignant d’un énoncé passionné : la parataxe domine ici avec un fort usage de la juxtaposition (nombreuses virgules et points virgules) : ex : « Mais, madame, il est mort, prenez votre victime ; » (v.4). En outre, les phrases averbales « Ah ! père infortuné ! » (v.27) et les points de suspension (v.29) traduisent cet étonnement et l’impuissance du personnage face à cette révélation. Enfin, l’utilisation de la phrase clivée est un procédé de mise en relief de l’étonnement, procédé relevé par Sophie Hache dans son article. Par exemple au vers 23 : « Et c’est sur votre foi que je l’ai condamné ! ». le dernier procédé de mise en relief est la reformulation de la parole d’autrui « Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence (…) » (v.23)

B. Intensité dramatique et émotive :

On peut dire que cet extrait est marqué par l’intensité dramatique et émotive qui y règne. Ainsi, on note l’utilisation de la rhétorique du haut degré avec le recours aux hyperboles ex (v. 15-16) : « De l’univers entier je voudrais me bannir. / Tout semble s’élever contre mon injustice ». La ponctuation participe aussi à cette intensité, comme témoin de l’émotion qui submerge Thésée en particulier avec la modalité exclamative comme nous l’avons vu précédemment. Cela est renforcé par les apostrophes et interjections de Thésée à Phèdre telles que « Eh bien ! » (v.1), « Ah ! » (v.2), « Ah ! père infortuné ! » (v.27). De plus, de nombreuses répliques sont brèves, proches de la stichomythie (= dialogue composé de courtes répliques de longueur analogue) ; c’est le cas pour les répliques respectives de Phèdre et Thésée v.24 à 26 et v. 27 à 29. Enfin, on remarque la présence du registre pathétique suscitée par cette situation, par exemple des vers 20 à 23 montrant le désespoir qui s’empare de Thésée : « Et je m’en vais pleurer leurs faveurs meurtrières, / Sans plus les fatiguer d’inutiles prières. / Quoi qu’ils fissent pour moi, leur funeste bonté / Ne me saurait payer de ce qu’ils m’ont ôté. »

Après avoir terminé l’analyse de cet extrait, nous pouvons retenir que l’intrigue théâtrale, notamment celle de Phèdre, repose sur les secrets et les effets de surprise qu’ils entrainent lors de leur divulgation. Ainsi, le dernier acte de Phèdre est une illustration parfaite du coup de théâtre où Phèdre fait un aveu dont Thésée semble se douter, impliquant ainsi une surprise feinte. Effectivement, « le chant racinien » repose sur un équilibre complexe entre éléments syntaxiques précis et discours construit sur la dissimulation ; l’expression de la surprise étant alors intimement liée au coup de théâtre final de la pièce. Mais l’expression de la surprise est-elle, comme le questionne Sophie Hache, « une ruse oratoire ou un dévoilement de l’âme ? »

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  • Phedre, RACINE, Acte V, scène 7

    18 juin 2014

    Très bonne analyse et interprétation, par ailleurs je me permet une simple critique sur la stichomythie qui a été abordé "l’intensité dramatique et émotive", ainsi nous ne pouvons pas parler de stichomythie ici, les répliques dépassent le vers, le rythme ne s’accélère pas réellement . Cependant la scène d’aveu dans Cyrano de Bergerac est un exemple de stichomythie , où les répliques sont courtes, dépassant rarement les 6 mesures, et s’enchaînent rapidement accélérant ainsi le rythme du dialogue. Sinon le reste de l’analyse est bonne