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Les Immémoriaux et la perception du divers

Segalen écrit à propos de son exotisme : « Donc, ni Loti, ni Saint-pal-Roux, ni Claudel. Autre chose !"( Victor Segalen , Essai sur L’exotisme,Paris, Livre de Poche, Biblio , 1986.P.31). Mais quelle est cet autre chose que Segalen veut introduire dans la littérature exotique avec Les Immémoriaux ? En réalité, il veut étendre la notion d’exotisme à l’exotisme universel, c’est-à-dire le pouvoir de concevoir « l’Autre ».

REPUGNANCE ENVERS LES RECITS DU VOYAGE

Au moment où écrit Segalen, dans le domaine littéraire, toute une littérature coloniale fleurit qui cultive le thème de l’exotisme. Pierre Loti, officier de marine, auteur des Désenchantées et des Derniers jours de Pékin est l’un des plus éminents représentants de ce courant. Un autre exemple est le romancier Claude Farrère, qui obtient le prix Goncourt en 1905 pour son roman Les civilisés .On peut encore nommer dans le même genre d’écrivains : Edmond Jaloux, Jules Boissière, Albert de Pouvourville, Stéphane Moreau qui recueillent un certain succès grâce à des récits colorés .

Mais Victor Segalen est contre ce genre de littérature. Il a une répugnance pour les journaux de voyage, les impressions de touriste en quête d’exotisme et les décors fabriqués. Il écrit en 1908, dans ses Notes sur l’exotisme qu’il voulait : " promener là-bas, une vision neuve servie par une forme symboliste". Quelle est cette vision nouvelle que l’écrivain essaye de montrer ? Reprenons le terme d’exotisme. Il opère un véritable détournement de sens et s’il s’est servi du même mot, c’est pour décrire une toute autre problématique.

Avant même Les Immémoriaux, Segalen avait formé le projet de réévaluer la notion d’exotisme. En effet, comme le dit Gilles Manceron, l’écrivain voulait « redonner au mot une authenticité, une plénitude que lui avait confisquée la mode littéraire, issue de Bernardin de Saint- Pierre et continuée par les auteurs modernes ». Il se fixe cet objectif : "Avant tout, déblayer le terrain. Jeter par dessus bord tout ce que contient de mésusé et de rance ce mot d’exotisme. Le dépouiller de tous ses oripeaux : le palmier et le chameau ; casque colonial ; peaux noires et soleil jaune ; et du même coup se débarrasser de tous ceux qui les employèrent avec une faconde niaise". Il continue ainsi : « dépouiller le mot de son acception seulement tropicale, seulement géographique. L’exotisme n’est pas seulement donner dans l’espace, mais également en fonction du temps ». (op. cit. p.4) Il arrive ainsi très vite à définir, à poser la sensation d’exotisme qui rejoint la notion du différent. La perception du "Divers" et la connaissance que quelque chose n’est pas soi- même et le pouvoir d’exotisme qui n’est que le pouvoir de concevoir l’autre.

QUI EST "EXOTIQUE" ? LES INDIGENES OU LES VOYAGEURS ?

Pour Segalen, l’exotisme essentiel est "celui de l’objet pour le sujet", quels que soient l’un ou l’autre. Ainsi, l’observateur européen est aussi exotique aux yeux des habitants et de la Polynésie que ces indigènes le sont pour l’observateur lui-même.

Il ne s’agit pas pour lui d’intégrer à une vision du monde bien européenne des éléments de décors venus d’outremer, mais de considérer d’autres civilisations en elles-mêmes, sans les évaluer avec les critères occidentaux. De même, il rejette la simple impression de voyage comme totalement dépourvu d’intérêt. La réaction du voyageur par rapport au milieu ne l’intéresse pas si elle ne s’accompagne pas à une réflexion à propos de l’action du voyageur sur le milieu et à propos de la perception du voyage sur le milieu.

C’est par la suite, dans ses Notes sur l’exotisme que Segalen revient sur son expérience océanienne et essaye de donner une forme systématique à ce qu’il appelle « un exotisme au deuxième degré ». Cet exotisme au second degré serait l’envers des impressions à la façon de Loti ou de Claudel. Voici ce que dit Segalen à leur propos : "Ils ont dit ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont senti en présence des choses et des gens inattendus dont ils allaient chercher le choc, tout cela, réaction non plus de milieu sur les voyageurs, mais des voyageurs sur le milieu vivant, j’ai tenté de l’exprimer pour la race maorie".