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A propos de l'auteur

  • Valérie PEREZ

    Fondatrice de ce site et auteur de la majorité des articles mis en ligne.
    Professeur agrégée et docteur en philosophie.

Accueil || Philosophie || Lectures de Hume sous la direction de Jean-Pierre Cléro et Philippe Saltel

Ouvrage en 3 parties sur le philosophe David Hume :

1/La philosophie

2/ L’esprit

3/ Les sympathies

Publié chez Ellipses (2009)

Présentation de l’éditeur :

Philosophe sceptique s’il en est, David Hume est un auteur exigeant : il l’est pour lui-même, comme le montre l’architecture équilibrée, mais subtile, de ses arguments ; il l’est aussi pour son lecteur, car si « les décisions philosophiques ne sont que les réflexions de la vie courante », elles doivent être « rendues méthodiques et corrigées », ce qui contraint à un certain effort, philosophique incontestablement. Cela dit, une telle orientation oblige aussi les superstitions, les dogmatismes, les conceptions de la philosophie comme science positive à répondre aux questions qui portent sur les croyances qui les produisent. Philosophe pratique, inquiet des ressorts de la « vie ordinaire », Hume invite tout un chacun à philosopher, et tout philosophe à plus de modestie : jamais, peut-être, un penseur n’a autant servi le rapprochement de la vie et de la pensée ; jamais, certainement, un penseur ne l’a servi aussi décidément. Celui-là réussit en tout cas à réunir dans ce volume la communauté française des spécialistes de son œuvre, qui dresse ici comme un tableau des différentes orientations, ou lectures, propres aux recherches actuelles sur un sceptique, donc, qui est aussi notre contemporain.

Fiche de lecture sur l’article de Cédric Brun, « Perception & représentation mentale dans le Traité de la nature humaine », in Lectures de Hume, Paris, Ellipses, 2009.

Cédric Brun entend questionner l’appartenance de Hume à la tradition « représentativiste » selon laquelle l’esprit humain, incapable de sortir de lui-même, ne peut avoir d’accès immédiat aux objets extérieurs, et par là même se voit condamné à des représentations.

Pour ce faire, il rappelle d’abord les principes de la théorie représentative des idées, et notamment la critique que Benett formule contre Locke sur « ce qu’il considère comme une thèse métaphysico-gnoséologique incohérente ». Locke aurait ainsi légué l’erreur du « voile de la perception » ou du « voile des idées » en distinguant ce qui relève de la perception & de la sensation, de ce qui constitue la réalité. Il s’est alors trouvé confronté « à la nécessité de relier les deux ordres et d’expliquer ce lien ». (p. 153). Le problème viendrait de l’empirisme de Locke, selon lequel toute explication serait nécessairement de l’ordre de l’idée ou de la sensation et non de la réalité en soi. Benett explique cette impasse en se fondant sur l’utilisation que Locke ferait du terme même de « réalité », qui, chez lui, ne s’opposerait pas aux apparences mais serait à comprendre comme un « en-soi inaccessible, placé au-delà des témoignages des sens ». Benett juge cette démarche stérile, et l’explique en affirmant d’une part que Locke croirait en une réalité « indépendante du monde extérieur », et d’autre part en posant que les « idées nous donnent accès à ce monde de manière représentative ». Ainsi, « ce serait seulement dans l’expérience sensible que l’on pourrait trouver les moyens de décrire et de comprendre la relation entre l’idée & son objet extérieur. Or cette connaissance empirique est entièrement une connaissance d’idées, et cela l’amène à considérer les idées comme des objets mondains. » (p. 154).

On trouve alors chez les représentativistes une théorie selon laquelle les idées sont considérées comme des images mentales, des images d’objets -> d’où le problème de l’absurdité des idées abstraites tel qu’il est formulé par Berkeley.

D’après C. Brun, Hume ne peut pas être considéré comme un représentativiste pour les raisons suivantes :

- Hume n’emploie pas le concept de représentation de la même manière que Descartes & Locke d’une part, et que Berkeley d’autre part.

- L’empirisme de Hume le conduit à affirmer que nous ne pouvons pas rationnellement affirmer l’existence per se de qq objet extérieur que ce soit (p. 157). En effet, aucun donné d’expérience ne permet de soutenir la distinction entre les impressions & les choses extérieures.

- D’où la notion de « phénoménalisme méthodologique » que C. Brun définit comme « tout ce qui est compris dans les limites de l’impression » et que Hume pose comme « cadre ultime de son enquête ».

- Hume affirme que la perception et l’objet ne sont qu’une seule et même chose : les hommes en général « ne peuvent jamais admettre l’idée d’une double existence et d’une représentation » (TNH, 1.4.2, 31, p. 286, Éd. GF). -> la connaissance des objets est impression ; il n’y a plus de distinction entre l’objet et l’expérience que nous en avons (car la nature en soi des objets du monde nous est inaccessible par l’expérience). Lorsque nous parlons d’objet, nous ne parlons finalement que des impressions sensibles que nous en avons, et nous le faisons par habitude : « l’esprit est uniquement confronté à des perceptions qui ne peuvent, en tant qu’impressions, être distinguées des choses elles-mêmes, parce que nous n’avons pas d’expérience distincte de ces choses ! Nous ne saisissons pas les objets extérieurs à travers une perception qui serait transparente, qui se laisserait oublier ; au contraire, la perception s’impose tellement à nous que c’est l’objet en soi qu’il faut oublier. » (p. 159).

D’où ce que C. Brun appelle le « phénoménalisme humien », à savoir le fait de s’en tenir « au fonctionnement de l’esprit tel que nous en faisons l’expérience immédiate. » (p. 159).

Distinguer l’idée de l’impression :

Hume distingue impression & idée en se fondant sur le fait que les perceptions peuvent être simples ou complexes ; perceptions simples -> voir l’exemple de Locke sur les couleurs ; perceptions complexes - > composées de perceptions simples analysées. Cette distinction assure la possibilité d’une « saisie directe, immédiate, du donné d’expérience. » (p. 159).
Les impressions, écrit Hume, « consistent en toutes nos sensations, passions et émotions telles qu’elles se présentent d’abord à l’âme. » (TNH, 1.1.1.1., p.41). Tout ce qui touche nos sens nous est donné sans défaut sous forme d’impressions. Hume n’utilise pas le terme d’impression comme l’usage traditionnel du sceau dans la cire qui laisse une impression dans l’âme sensitive. Car pour Hume, « il n’est pas possible d’affirmer l’existence physique et extérieure d’un sceau d’un côté et de son impression de l’autre. » (p. 160). D’où la remise en cause du représentativisme de Hume par C. Brun : en quel sens peut-il y avoir une référence stable pour notre connaissance empirique ? Et si l’impression ne représente pas la réalité extérieure, mais constitue pour nous toute la réalité, on est en droit de se demander où se trouve la représentation dans la théorie humienne des idées.

C. Brun entend en fait situer la notion de représentation à travers la distinction entre impression et idée.

Définition de l’impression : elle n’est pas une « sensation physique ». « Les impressions sont les états mentaux les plus primitifs ». C. Brun donne ainsi l’exemple des impressions de sensation qui trouvent leur origine dans les organes des sens. Nos idées peuvent se développer à partir de ces impressions de sensation. Mais si nous sommes empiristes nous ne pouvons « qu’inférer l’existence des objets externes de manière plus ou moins probable en fonction de la cohérence de nos impressions et de la constance de leurs répétitions en nous appuyant sur le sentiment naturel de l’existence de ces objets, mais nous ne pouvons formuler positivement l’hypothèse de leur existence. » (p. 160) -> pas de certitude possible, puisque les objets des impressions sont empiriquement hors d’atteinte.

« L’impression est un donné immédiat, brut, les idées sont ces impressions en tant qu’elles sont réfléchies. » (p. 166)

Définition de l’idée : c’est « une sorte de dépassement de l’immédiateté de l’impression grâce à l’activité de l’imagination. » (p. 167)

C. Brun effectue également la distinction suivante entre impressions sensibles et idées de sensations :

les impressions sensibles sont premières, elles constituent le fond sur lequel notre vie mentale peut prendre appui ;
les idées de sensations sont des copies de ces impressions : elles ressemblent aux sensations dans notre pensée, notre mémoire ou notre imagination.

Ainsi, les idées de sensations sont des copies des impressions de sensation (voir p. 162).

Sur quoi repose la distinction entre impression & idée ? Il y a d’abord « une différence en terme quantitatif ou de degré » (p. 162), puis une différence qualitative. Les impressions, comme l’écrit Hume, ont plus de force & de violence ; les idées en sont « leurs images affaiblies dans la pensée et le raisonnement. » (TNH, 1.1.1.1, p.41).

C. Brun souligne donc que nous avons à la fois une impression affaiblie et une image ou une copie de cette impression. La question qui se pose alors est de savoir en quel sens l’on peut dire que l’idée est une copie de l’impression, si elle est une impression affaiblie. Comment saisir ici la notion de copie ? « Si les idées ressemblent aux impressions comment peuvent-elles être à la fois copie de l’impression et l’impression affaiblie elle-même ? » (p. 162). En fait, chez Hume le discours de la copie ou de la représentation doit être vu comme une stratégie pour éviter le problème de l’affirmation de l’existence d’un objet per se pour un empiriste : « l’empiriste, parce qu’il est privé de toute certitude concernant l’origine (et l’objectivité) de ses idées, est obligé de faire appel à un fondement empirique garanti pour sa théorie de la connaissance. Hume a forgé la notion d’impression pour qu’elle remplisse ce rôle dans sa théorie de la connaissance. Si nous ne pouvons pas atteindre avec certitude l’origine externe de nos idées, alors nous devons limiter l’enquête à ce qui nous est donné : notre expérience la plus originale de la perception, l’expérience de l’impression sensible. (...) Les impressions ne sont donc pas des produits de la pensée, mais des produits de l’expérience. En tant que telles, les impressions sont plutôt senties que pensées. » (p. 164)

Ainsi, la notion de copie, que nous retrouvons dans le TNH, permet à Hume de justifier comment il est passé du senti à la pensée. Mais peut-on penser l’expérience ? C. Brun avance que l’impression est le seul objet dont on puisse parler avec certitude : « toutes les propriétés des impressions sont les propriétés de ce que nous nommons les objets ou les choses. » (p. 165). Mais comment s’assurer qu’une idée ressemble à une chose si nous n’accédons jamais aux choses mais seulement aux idées ? En fait, Hume ne compare pas l’idée & la chose mais l’idée et l’impression. Et l’idée est « cette impression elle-même mais dépouillée de sa marque expérientielle. » (p. 165).

En bref, la seule certitude que nous puissions avoir, c’est que seules les impressions peuvent être atteintes. Mais une fois cela accompli, une fois réalisée cette expérience primitive, il nous est possible de penser les choses. C. Brun situe donc finalement l’idée humienne dans la représentation à la fin de son article, puisque l’idée, faisant intervenir l’imagination, est bien une copie de l’impression. C’est donc le concept de copie qui est pertinent pour parler de représentation à propos de la théorie empiriste humienne de l’idée, copie au sens d’image affaiblie irrémédiablement liée à l’immédiateté de l’expérience.