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Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || Étude de la tyrannie de la majorité dans "De l’omnipotence de la majorité" (p 375 à 379, Tome I.)

Dans ce chapitre, Tocqueville, à travers la notion d’opinion, propose une réflexion sur le rôle de la majorité dans la démocratie. Selon lui, son principal défaut est d’être tyrannique. Que signifie donc pour l’auteur la « tyrannie de la majorité » ? Est-ce uniquement la démocratie qui l’entraîne ? Que peut-on faire pour l’éviter ? Quel est le rôle de la société ?

Pour commencer, Tocqueville s’appuie sur une maxime qu’il caractérise comme « impie et détestable » (p375), qui consiste à donner tous les pouvoirs à la majorité d’un peuple. Cependant, c’est ce qu’il pense également à « l’origine de tous les pouvoirs ». De ce fait, il pose une question rhétorique, qui peut relever de l’introspection « Suis-je en contradiction avec moi-même ? » Tocqueville met en avant la « loi générale » qui a été « adoptée par la majorité de tous les hommes », qui est la justice. Il la définit comme « la borne du droit de chaque peuple ». (p376) L’auteur ne dévalue pas le principe de la majorité, mais pour lui, l’importance de la justice devrait être davantage considérée. Ainsi, s’il décide ne ne pas obéir à une loi injuste, il considère qu’il ne « dénie pas la majorité », mais qu’il fait « seulement appel à la souveraineté du peuple et du genre humain. » (p376) Ensuite, Tocqueville met en garde contre les risques de donner tout pouvoir à une majorité.

L’auteur se demande alors : « Qu’est-ce qu’une majorité prise collectivement sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu’on nomme minorité ? »

Pour lui, le fait de donner la toute-puissance à la majorité est un véritable danger, comme il l’exprime à la page 377 : « La toute-puissance me semble en soi une chose mauvaise et dangereuse. » Ainsi, la démocratie qui devait lutter contre la tyrannie, prend le risque de la favoriser en se soumettant à la majorité, alors qu’il n’y a pas de souverain tyrannique. Selon lui, le pouvoir n’a pas de limites, et la majorité peut donc en abuser contre ses adversaires. Tocqueville décrit la majorité comme la toute-puissance de plusieurs personnes, ce qui la suppose donc plus dangereuse que la toute-puissance d’un seul homme. Il l’exprime ainsi, page 376 : « Le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l’accorderai jamais à plusieurs. »
L’auteur pense que seul Dieu peut être tout-puissant sans danger, « parce que sa sagesse et sa justice sont toujours égales à son pouvoir. » (p377) Cela rejoint donc ses précédents propos, où il ne peut concevoir un peuple sans justice, puisque c’est elle qui empêche l’être humain de franchir les limites. Sans cela, la toute-puissance entraînerait obligatoirement la tyrannie. Ainsi, le fait d’accorder « le droit et la faculté de tout faire » à un peuple ou une puissance quelconque, représente pour Tocqueville le « germe de la tyrannie ». (p377)

La majorité a t-elle une influence sur l’opinion ? Cela entraîne-t-il une tyrannie de l’opinion ?

Selon l’auteur dans « De la source principale des croyances chez les peuples démocratiques » (p20, TII), « si chacun entreprenait lui-même de former toutes ses opinions et de poursuivre isolément la vérité dans des chemins frayés par lui seul, il n’est pas probable qu’un grand nombre d’hommes dût jamais se réunir dans aucune croyance commune. » Cela signifie donc que l’opinion est souvent contradictoire. En effet, la connaissance d’une opinion émane d’une réflexion, c’est alors que les individus qui n’ont pas mené cette réflexion considèreront l’opinion vraie. L’unique moyen d’agir sur l’opinion devient ainsi la rhétorique.

Le gouvernement mixte est-il une solution ? Est-il réaliste ?

C’est une question que se pose l’auteur à la page 377, car d’après lui, l’égalité dans un régime politique n’est pas possible. Il qualifie ce gouvernement mixte de « chimère », parce qu’il y a toujours « un principe d’action qui domine tous les autres ». L’idée de mélange équilibré est donc irréaliste pour Tocqueville. Il s’appuie sur l’exemple de l’Angleterre dont l’aristocratie a fini par dominer la démocratie. Si une société adoptait un gouvernement mixte, elle encourrait de gros risques, soit une révolution ou une dissolution.

Comment laisser la majorité œuvrer tout en se protégeant de la tyrannie ?

Tocqueville est donc persuadé qu’il faut choisir un pouvoir social supérieur aux autres, tout en modérant son développement et en lui laissant quelques obstacles afin de ne pas risquer la tyrannie. Il démontre cela en s’appuyant sur le gouvernement des États-Unis, où tous les pouvoirs sont représentés par la majorité. Ainsi, Tocqueville montre qu’il n’est pas possible de résoudre un problème personnel ou une injustice, car les individus doivent se soumettre à la loi établie : « Quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous frappe. » (p378) L’auteur explique cependant que la tyrannie n’est pas très fréquente au États-Unis, mais il n’y a « point de garantie contre elle » (p379) », ce qui la rend tout de même menaçante. Il n’y a donc aucun miracle clé pour bannir à jamais la tyrannie. La différence est qu’à l’heure qu’il est, les hommes détiennent maintenant les règles pour mettre en place un régime politique stable et égalitaire.

Les avis divergents sont toujours présents dans une société, notamment ceux des minorités. Tocqueville craint donc la tyrannie de la majorité sur la minorité, car elle peut être réellement tyrannique si elle ne reconnaît pas les droits de la minorité. L’auteur ne souhaite pas supprimer ces notions, mais organiser la société de manière à ne laisser aucune chance à la tyrannie. La méthode de travail de Tocqueville est clairement exprimée tout au long de ce chapitre, car il pose des problèmes, propose ses idées et argumentations, puis en déduit des conclusions tout en partageant son opinion.