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A propos de l'auteur

  • Ludivine MADY

    Étudiante en 2ème année de licence de Lettres modernes à l’université de La Rochelle.

Accueil || Licence de Lettres || Tocqueville || COMMENT LES AMERICAINS COMBATTENT L’INDIVIDUALISME PAR LA DOCTRINE DE L’INTERET BIEN ENTENDU ?

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  • (|ptobr)

Tocqueville, De la démocratie en Amérique II, chapitre XIII, p 173 à 177. Édition Gallimard, collection foliohistoire.

Dans ce chapitre Tocqueville aborde le sujet de la doctrine de l’intérêt bien entendu. Son discours ne traite pas de comment s’est créé cette doctrine, mais de comment elle est appliquée par les Américains, comment ils s’en servent au quotidien. Tocqueville approfondit ses propos en cherchant quels sont les défauts de cette doctrine et ses remédiations futures. Faut-il appliquer la doctrine de l’intérêt bien entendu ? Si oui, dans quelle mesure doit-on la préserver ?

Dès le début du chapitre, Tocqueville révèle aux lecteurs les rouages de la vertu dans la société française. Il ouvre son chapitre en exposant la doctrine vertueuse à laquelle les hommes riches disent se consacrer. Mais ces derniers ne semblent guère vertueux...

Après avoir exposé cette première idée, Tocqueville annonce clairement son avis personnel avec l’apparition du «  je ». Il amène l’idée qu’au fil du temps, la volonté des hommes de rechercher l’intérêt général s’est transformé, et s’est resserré autour du propre intérêt de chacun. L’homme a perdu la notion de « sacrifice  » de soi, et se restreint à chercher l’intérêt général à travers son intérêt personnel. Ainsi, des idées de chacun, apparaissent des idées communes, qui aboutissent à une « doctrine générale ». Ici, apparaît la notion d’individualisme qui est une notion très importante dans l’œuvre de Tocqueville.

Pourquoi les hommes cherchent-ils à trouver leur bien-être dans l’intérêt général ?

Pour Tocqueville, les citoyens des États-Unis « savent presque toujours combiner leur propre bien-être avec celui de leurs concitoyens ». Mais ce qu’il veut démontrer, c’est par quelle «  théorie générale » les citoyens arrivent à assembler leur intérêt avec ceux des autres. Il faut savoir que Tocqueville est français, il est parti en Amérique pour observer leur système moral, politique et social. Ainsi, il dégage ici l’idée que les Américains profitent des jouissances matérielles tout en intégrant leur bien-être à celui de la communauté. Il est donc fondamental de souligner que dans ce chapitre, l’individualisme n’est pas connoté de manière négative, puisque les Américains arrivent à combiner leur bien-être avec celui de la société.

La suite du chapitre porte sur l’utilité de la vertu. La manière d’exposer l’intérêt général est très importante, car elle doit susciter l’intérêt personnel de chacun. Ainsi, les moralistes ne vont pas dire qu’il faut se sacrifier pour autrui, mais que les sacrifices sont autant profitables à moi qu’aux autres. Le thème sous-jacent qui ressort est l’égalité. Les hommes sont égaux, ils peuvent donc se tourner vers un intérêt collectif. Tocqueville n’essaie pas de justifier comment les moralistes américains abordent la doctrine, mais à travers leurs implications, il s’adresse aux moralistes français, pour les inciter à réfléchir sur cette doctrine, et envisager de l’appliquer. Les moralistes américains ont compris qu’on ne peut pas empêcher la convoitise de l’homme pour son bien-être, il faut donc préserver son intérêt personnel en amenant l’homme à agir pour l’intérêt général. Et pour cela, il est dans «  l’intérêt de chacun d’être honnête ».

En quoi l’honnêteté individuelle serait bénéfique pour la société ?

Tocqueville utilise une citation de Montaigne pour appuyer son discours, « Quand pour sa droicture, je ne suyvray pas le droict chemin, je le suyvray pour avoir trouvé, par expérience, qu’au bout du compte c’est communément le plus heureux et le plus utile ».

Pourquoi cette citation ? Elle révèle que l’idée du bien-être de la société n’est pas une idée nouvelle, puisque Montaigne en avait déjà conscience au XVIème siècle.

Enfin, Tocqueville achève la première partie de son discours pour se diriger vers une autre problématique : Pourquoi les hommes n’arrivent-ils pas à être réellement vertueux, et à « s’oublier eux-même » ? Tocqueville compare l’application de cette doctrine entre les Américains et les Européens. Pour lui, la doctrine de l’intérêt bien entendu n’est pas connue en Europe. A travers son opinion, il faut voir l’envie d’un réel changement français, qui tendrait vers la doctrine de l’intérêt bien entendu. A l’inverse, les Américains se servent de cette doctrine pour montrer qu’ils aident la société. Si dans leur vie quotidienne les Américains consacrent du temps pour la société, il s’agit alors de se « sacrifier volontiers au bien de l’État ». Cela montre que les hommes peuvent agir vertueusement, mais il préfère dire qu’ils vont faire « honneur à leur philosophie » plutôt qu’à eux-même.

Pourquoi les hommes ne reconnaissent-ils pas qu’ils peuvent être vertueux, et pourraient l’être encore davantage ?

Bien que la doctrine de l’intérêt bien entendu comporte de nombreux atouts, Tocqueville va mettre en lumière les limites de cette doctrine.

La doctrine de l’intérêt bien entendu ne suggère pas de changements considérables mais de petits changements, qui mis bout à bout génèrent de bons citoyens. Les hommes n’atteignent pas la vertu mais s’en rapprochent. Les Américains adoptent cette doctrine, en conséquence la société démocratique américaine tend elle aussi vers la vertu. Il faut donc voir que la vertu est un sentiment essentiel en Amérique.

Tocqueville émet une hypothèse : Que se passerait-il si la doctrine de l’intérêt bien entendu venait à contrôler le monde moral ? Cela ne serait pas sans conséquences. Un effet négatif serait la dévalorisation de la vertu, qui laisserait passer les vertus les plus aiguisées. A l’inverse, la dégradation de l’homme n’aurait plus lieux d’être. Les failles de la doctrine de l’intérêt bien entendu est qu’elle restreint les hommes intelligents et met à son niveau les hommes les plus faibles d’esprit. Ce paradoxe aurait tendance à discréditer la doctrine de l’intérêt bien entendu.

Est-ce vraiment bien d’appliquer cette doctrine si elle laisse de côté certaines personnes ?

Bien que la doctrine de l’intérêt bien entendu laisse apparaître des défauts, elle demeure la plus appropriée « de toutes les théories philosophiques » pour Tocqueville. Les moralistes ont le devoir de l’appliquer. Tocqueville estime qu’il faut donc mettre à exécution la doctrine de l’intérêt bien entendu. Il va plus loin en ajoutant qu’elle est à la portée de chaque homme s’il sait la trouver. Tocqueville veut que les Européens considèrent cette doctrine, car elle est réellement facile à mettre en place, et utilisable par un grand nombres de personnes. Il devance même la réponse des moralistes français en annonçant, « Alors même qu’ils la jugeraient imparfaite, il faudrait encore l’adopter comme nécessaire ».

Si cette doctrine doit être appliquée, il faut se centrer sur la nécessité de la vertu, Tocqueville se pose une question, comment chaque homme entendra-t-il son intérêt personnel ?

Il soulève l’hypothèse que si les hommes demeuraient égaux, on ne saurait dire jusqu’où l’avidité de leur intérêt personnel les mènerait. Tocqueville conclut son discours sur la doctrine de l’intérêt bien entendu en éclairant l’homme sur l’avenir qui l’attend (selon lui). Si on veut conserver la doctrine de l’intérêt bien entendu, il faut à tout prix que les hommes la comprennent en tout point, sinon l’homme deviendra incapable de voir les vérités qui l’entourent, « je vois s’approcher le jour où la liberté, la paix publique et l’ordre sociale lui-même ne pourront se passer des lumières ». Il laisse ainsi son lecteur dans la quiétude, inspirant la réflexion que chacun d’entre nous doit avoir, pour faire avancer ensemble la société.